Nicolas Sincère Pichault (1795-1878) est le fondateur des Moulins de Clan. Il a acquis une parcelle importante de terrain dans le hameau de Clan (aujourd’hui commune de Jaunay-Clan), situé le long de la route royale Paris-Bordeaux. En 1830, cette parcelle abritait un vieux barrage de 800 mètres d’origine romaine, qui a depuis disparu suite à l’implantation du Futuroscope.
Nicolas Sincère avait trois enfants : Octavie Aline (1824-1887), Octave Florentin (1827-1907) et Stéphane (1837-1923). Dans les années 1830, il possédait une petite maison sur la rive gauche du Clain, appelée la « Maison de la La Tourelle », qui abritait sa famille. Cette maison était ainsi nommée en raison de son puits en forme de clocher à pans coupés, toujours visible aujourd’hui. Elle se trouvait à l’arrière du Relais de la poste aux chevaux.
Nicolas Sincère a reconstruit le barrage pour créer une chute d’eau d’une hauteur de deux mètres. Par la suite, il a ajouté une scierie, une deuxième maison d’habitation, une première série d’écuries, un moulin à huile de noix doté d’un système ingénieux de sa propre fabrication (dont son arrière-petit-fils Jean-Pierre a pu observer les traces), puis un moulin à grains avec deux paires de meules. Plus tard, d’autres bâtiments ont été construits, tels qu’un autre corps d’écuries, un charmant lavoir et une petite porcherie surmontée d’un pigeonnier qui existe toujours. Cet ensemble immobilier était connu sous le nom des « Usines de Clan ».
Entre 1848 et 1850, pendant la Deuxième République dirigée par Louis Napoléon, la construction d’une ligne de chemin de fer reliant Tours à Bordeaux a commencé. Nicolas Sincère a accepté généreusement, sans contrepartie, le passage de la ligne à travers sa propriété, bien qu’il n’ait même pas reçu de billet gratuit pour se rendre à Paris, où sa fille Aline résidait et où son fils Octave étudiait la peinture et la sculpture à l’Académie Royale des Beaux-Arts.
À la même époque, Nicolas Sincère a construit un moulin commercial de cinq étages, avec quatre paires de meules, ce qui était très important pour l’époque, ainsi qu’une grande maison d’habitation. Les fenêtres en plein cintre avec de petits carreaux de ce moulin ont été reproduites plus tard sur la façade côté Clain de la maison par son petit-fils Jean-Germain.
Sur la même ligne, il a ajouté une écurie, une basse-cour, un jardin et une étable. L’ensemble a alors été nommé « Les Moulins de Clan » et a été inauguré en 1852, le même jour que la gare de Poitiers. Toutes ces installations étaient alimentées par quatre roues hydrauliques, utilisant les eaux du Clain, un affluent de la Vienne, et alimentées par le bief en amont du barrage.
Nicolas Sincère fut principalement un grand bâtisseur. On peut constater que la surface bâtie était très importante pour l’époque. Dans les documents familiaux, nous découvrons des baux de location et des états des lieux des locataires. Il semble donc qu’il n’ait jamais exploité ses usines, mais seulement les affermait tout en restant propriétaire.
Lorsqu’il atteignit l’âge de 70 ans, Nicolas Sincère institua, par un acte officiel du 22 juin 1866, son fils aîné Octave Florentin comme mandataire général et spécial de tous ses biens. Pendant ce temps, son frère Stéphane, diplômé de l’École centrale de Paris et ingénieur à Liège dans une grande société fabriquant des locomotives, fonda une grande famille en Belgique.
En 1878, au décès de Nicolas Sincère, ses héritiers restèrent en indivision. Octave Florentin continua à gérer les usines de Clan et à peindre. Parmi ses œuvres, réparties tant au musée de Poitiers que dans la famille, se trouvent les fresques de l’église de Saint-Germain-sur-Gartempe, qui ont aujourd’hui été restaurées et font partie des visites de « La Vallée des fresques » du département de la Vienne.
En 1873, Octave Florentin se maria avec Augustine Olivier, veuve Thibault, avec qui il eut trois enfants : René (1873-1938), Madeleine (1875-1908) et Jean Germain (1889-1961).
Au décès d’Octave Florentin en 1907, son épouse Augustine, ne pouvant diriger une entreprise en raison du statut des femmes à l’époque, et son fils aîné René étant chef d’exploitation forestière en AOF, son beau-frère Stéphane (fils cadet de Nicolas Sincère) installé à Liège étaient tous deux indisponibles.
La famille décida donc que son fils cadet Jean Germain devait quitter ses études, bien qu’elles fussent brillantes puisqu’il était destiné à préparer Polytechnique, pour devenir gérant des Usines de Clan. Il exploita la scierie jusqu’à son appel sous les drapeaux en 1909*.
À la fin de 1911, après avoir été libéré avec le grade de sous-lieutenant de réserve, Jean Germain reprit la direction de la scierie. En 1913, la succession de Nicolas Sincère fut enfin liquidée. La situation financière était désastreuse, et les héritiers, notamment Stéphane (frère d’Octave) et René (le fils aîné), refusèrent l’héritage. Il ne resta que Jean Germain pour accepter cette pénible situation, sa mère restant usufruitière.
Le 31 juillet 1914, le sous-lieutenant Jean Germain Pichault fut mobilisé, marquant le début de la Première Guerre mondiale. Augustine Pichault assura la gestion des Usines de Clan et s’engagea comme infirmière major. Elle eut une vie exemplaire avant et pendant la guerre, si bien que l’Académie française lui décerna le prix de vertu dit « Prix Montyon », exceptionnellement offert à une femme.
En 1917, la famille Marot ne renouvela pas le bail de location des moulins de Clan en raison du manque de main-d’œuvre. Début 1919, après la fin de la guerre, Jean Germain resta en occupation en Rhénanie jusqu’au 31 juillet 1919. Après sa démobilisation, il reprit la gestion et créa la SARL les Moulins de Clan avec l’aide financière et commerciale de Monsieur Chauveau, ancien boulanger devenu gérant minoritaire.
Jean Germain vendit ce qui restait de la scierie, puis la maison de la scierie et la turbine qui avait remplacé la roue hydraulique depuis 1914. De 1919 à 1929, la société se développa et prospéra.
Cependant, le blé américain devint moins cher que celui des producteurs français, entraînant une concurrence féroce entre les meuniers de la Vienne. Il fallut rechercher des clients jusqu’en région parisienne, livrés directement par camion. Louis Bourguignon et Marcel Deschamps furent les pionniers du transport routier longue distance, allant jusqu’à dormir dans leur camion après dix ou douze heures de route. À Paris, il fallait parfois porter des sacs de 100 kilos au quatrième étage. Ces fidèles compagnons sont restés dans l’estime et l’amitié de leur employeur jusqu’à leur retraite.
En 1933, le gouvernement de l’époque créa l’Office du Blé pour défendre les agriculteurs et fixer un prix plancher du quintal de blé. En même temps, l’Office National Interprofessionnel des céréales (ONIC) fut créé. Un certain nombre de moulins firent faillite. Jean Germain Pichault créa alors le Syndicat des Meuniers de la Vienne, dont il fut élu Président et le resta jusqu’en 1950, afin de défendre les intérêts des meuniers auprès des gouvernements.
Jean Germain eut deux enfants, Marie Louise et Jean-Pierre. En 1936, le gouvernement décida de diriger le circuit du blé, de la farine, de la semoule et du pain de manière à ce que ces derniers aient le même prix de Dunkerque à Tamanrasset et de Brest à Strasbourg. L’administration française produisit alors des règlements incompréhensibles, qui perdurèrent jusqu’après 1965. En 1938, Monsieur Chauveau, qui était fort âgé, voulut céder ses parts de la SARL des Moulins de Clan. À cette même époque, Monsieur Marcel Pichault, cousin germain de Jean Germain, souhaitant quitter Valenciennes par peur d’une guerre imminente et se rapprocher du berceau familial où son fils Marcel Pichault était déjà installé en tant que médecin, acheta les parts de Chauveau et devint ainsi gérant minoritaire des Moulins de Clan.
En même temps, la société belge Sanders, précurseur dans l’alimentation rationnelle des animaux domestiques, proposa la concession de fabrication et de commercialisation de ses produits. Les Moulins de Clan acceptèrent la concession pour la moitié nord du département de la Vienne.
En 1939, la Seconde Guerre mondiale commença et les Moulins de Clan vécurent en autarcie presque totale pendant cinq ans. À partir de 1944, il devint évident que le débit de la rivière Clain diminuait chaque année en raison des adductions d’eau de la ville de Poitiers et des communes environnantes. Les Moulins de Clan décidèrent alors de n’utiliser que trois prises d’eau et de compléter l’alimentation en énergie par un groupe électrogène diesel.
Sous la direction technique de la société Sanders, la vente des aliments pour le bétail se développa. Louis Bourguignon fut promu représentant commercial.
Le 13 décembre 1949, un incendie détruisit l’ensemble immobilier des Moulins de Clan. Pour Jean-Germain Pichault, ce fut l’anéantissement de trente années de travail. Cependant, avec courage, il surveilla et aida les divers régiments de pompiers qui combattirent l’incendie pendant près d’un mois. Le personnel resta fidèle, conservant son salaire et son attachement à une famille à laquelle il était lié, car pendant la guerre aucune famille ne manqua de pain.
Le fils Jean-Pierre Pichault fut destiné depuis son enfance à représenter la quatrième génération du patrimoine créé par Nicolas Sincère. Après ses études secondaires, il entra à l’École Française de Meunerie, section supérieure. Ensuite, il fut auditeur libre à l’Institut National Agronomique de Paris, avec un certificat de technicien de l’alimentation animale, et fit un stage de 6 mois en Angleterre dans l’importante société Beeby’s and Son à Liverpool. Il effectua ensuite son service militaire obligatoire dans la classe 1946.
Alors qu’il s’apprêtait à rejoindre l’entreprise familiale et à succéder à son cousin Marcel Pichault, l’incendie survint. Avec courage, les Pichault père et fils décidèrent de ne pas reconstruire l’unité minoterie dont le développement était incertain, et de se consacrer à l’alimentation animale. Jean-Pierre se transforma pendant quatre années en maître d’œuvre pour reconstruire l’immobilier, tout en conservant le personnel et la fabrication des aliments pour le bétail dans l’ancienne étable. L’unité de production dans le nouveau bâtiment était prévue pour commercialiser 1200 quintaux par mois.
En 1956, cette commercialisation ne dépassant pas les 800 quintaux par mois, en raison de la concurrence des groupes internationaux proposant des contrats d’élevage très attrayants aux éleveurs et agriculteurs français, les Moulins de Clan durent créer deux filiales pour respecter la réglementation nationale : Maïssec, organisme de stockage agréé, et une société d’élevage appelée « Saviporc », Société d’Intérêt Collectif Agricole.
Le 1er novembre 1961, Jean-Germain décéda brutalement, laissant en succession une situation financière désastreuse due aux emprunts contractés sur un patrimoine qui devait être divisé par deux. Madame Marie Marthe Pichault, veuve, restant usufruitière, devint gérante majoritaire, et son fils resta directeur de la S.A. Maïssec.
En 1964, une épidémie de peste porcine décima 2000 porcs en une semaine. Les Moulins de Clan, qui finançaient l’élevage, durent déposer le bilan. Aujourd’hui, il ne reste que le bâtiment avec son entête, dont nous ignorons tout sur l’acquéreur et sa destination. La disparition du berceau familial fut une grande déception pour tous.