À la lecture de ce texte chacun comprendra pourquoi ce « Juste* » souhaite rester dans l’anonymat.
*Juste : titre honorifique décerné par l’État d’Israël aux personnes ayant sauvé des Juifs pendant la seconde guerre mondiale, et ce même au péril de leur vie.
« En 1942, pendant l’occupation allemande, les moyens de transport par route à Jaunay-Clan étaient extrêmement limités en raison du manque total d’essence. À cette époque, les rues étaient animées d’une manière indésirable en raison de la situation. Cependant, en plus des vélos et de leurs remorques habituelles, mon père possédait une camionnette, une Citroën C4 avec un plateau à ridelles, fonctionnant avec un gazogène au charbon de bois qui la rendait peu performante. J’étais le chauffeur de ce véhicule.
En raison de la pénurie de conducteurs causée par les événements de l’époque, l’âge requis pour obtenir le permis de conduire avait été abaissé à 16 ans, ce dont j’ai profité. Ainsi, j’ai été amené à transporter toutes sortes de marchandises, y compris des matériaux, mais aussi des personnes.
En octobre 1942, les Juifs de Paris ont commencé à subir ce que l’on appelait les rafles, c’est-à-dire des arrestations sommaires et parfois brutales de familles entières par l’armée allemande ou la police française, qui étaient alors sous les ordres de la Gestapo. Le triste sort de ces personnes ne serait connu qu’après la fin de la guerre.
Un interlocuteur parisien ayant des liens à Jaunay-Clan est venu voir mon père et lui a demandé s’il accepterait de transporter des Juifs parisiens désireux de se rendre en « Zone libre », qui correspondait à la moitié de la France non occupée par les Allemands à ce moment-là.
Ainsi, à plusieurs reprises, des groupes de Juifs, composés de 3 à 4 personnes, arrivaient en gare de « Clan » en provenance de Paris via Châtellerault, par un train express. Sans sortir de la gare, ils prenaient ensuite l’omnibus Châtellerault-Poitiers. Il y avait des contrôles allemands à la sortie des quais à Châtellerault, mais pas à la gare de Clan. Accompagnés par l’interlocuteur dont j’ai parlé, ils passaient la nuit chez sa famille.
Vers 5 heures du matin, je prenais en charge ces Juifs. Ils montaient à l’arrière de la camionnette, assis côte à côte sur le plateau, derrière la cabine, et ils tenaient fermement leur petite valise. Nous partions tous, avec une grande peur. Ces voyages de nuit, avec les phares occultés par une tôle réglementaire ne laissant passer qu’un filet de lumière, empruntaient les routes secondaires dans l’espoir de ne pas rencontrer la Feldgendarmerie (gendarmerie allemande) qui patrouillait à moto de jour comme de nuit, en particulier près de la ligne de démarcation entre les zones occupée et libre. »